À voir les réactions passionnelles – et souvent outrancières – qui pimentent le débat sur la prostitution et l’éventuelle pénalisation des clients prostitueurs (qui après tout sont une minorité), on est en droit de penser que la question touche un point douloureux du corps social : celui de la mise à disposition sexuelle des femmes pour le plaisir masculin. Nous, abolitionnistes, défendons une idée audacieuse et novatrice : celle d’en finir avec ce symbole de la domination des hommes sur les femmes.
-Ce que nous sommes-
Nous parlons en qualité de témoins : chaque jour, dans le huis clos de nos associations de terrain, loin des plateaux de télévision, nous entendons des personnes prostituées nous dire la vérité de ce qu’elles vivent : violences, mépris, humiliations, insultes qui, si elles sont évidemment parfois le fait des policiers ou des riverains, sont d’abord le fait des "clients". C’est leur parole qui nous permet d’affirmer que, pour la grande majorité de celles et ceux qui en vivent, la prostitution est une violence.
Mais nous parlons aussi en qualité de citoyens. L’axiome "je paye, tu t’exécutes" n’est pas précisément le projet de rapports hommes/femmes que nous ambitionnons. Nous ne voulons pas d’une société où certains hommes continuent de faire leur marché sexuel parmi des femmes – et des hommes – que la précarité, les violences ou la traite ont relégués dans la prostitution. Nous ne voulons pas d’une Europe où certains pays, dits réglementaristes, ont promu les proxénètes au rang d’hommes d’affaires ; où les "clients" consommateurs, sûrs de leur bon droit, continuent de faire comme si les femmes, de toute éternité, "étaient là pour ça"… Quel goût peut avoir la liberté dans ces pays où les bordels low cost proposent désormais des femmes en soldes ? Pour nous, toute prostitution est une défaite pour les femmes, pour les hommes et le vivre-ensemble. Et un triomphe pour la précarité et les violences. Notre souci est un souci de justice, d’égalité et de progrès.
-Ce que nous voulons-
Nos exigences sont simples. La première est l’abrogation du délit de racolage et de toutes les mesures de répression à l’encontre des personnes prostituées ; mais aussi des mesures de protection, d’accompagnement social et d’alternatives, pour toutes, y compris pour les étrangères.
La seconde vise l’interdiction d’acheter un acte sexuel et la pénalisation des clients prostitueurs. Cette interdiction, associée à l’abrogation du délit de racolage constitue ce que les abolitionnistes appellent, et réclament, depuis plusieurs années : l’inversion de la charge pénale. Elle n’est ni l’effet d’une lubie ni d’un goût pour la répression mais un choix politique qui fait déjà ses preuves dans plusieurs pays européens, notamment en Suède. Il est en effet urgent de contrer l’explosion de la traite des femmes, une entreprise criminelle dont les proportions atteignent aujourd’hui des dimensions sans précédent et qui n’a d’autre fin que servir le "plaisir" des prostitueurs.
Enfin nos associations demandent le renforcement de la lutte contre le proxénétisme, une politique pénale d’indemnisation effective des victimes de proxénétisme et la mise en place d’une politique ambitieuse d’éducation à la sexualité et de prévention de la prostitution.
-Ce que nous ne voulons pas... et que beaucoup voudraient nous attribuer-
Définir une bonne et une mauvaise sexualité. Nous menons un combat pour la libération sexuelle. Une sexualité libérée de l’ordre moral, mais aussi des rapports de domination et de l’emprise du marché. Refuser qu’un rapport sexuel puisse être imposé par l’argent n’est pas une entreprise de restriction des sexualités. C’est au contraire une exigence d’égalité qui permet l’expression d’une sexualité libre.
Nier l’existence du consentement de celles et ceux qui choisiraient de se prostituer. L’addition de consentements individuels ne suffit pas à faire un projet de société. Certains "consentent" à travailler pour moins que le smic (NDLR : aide sociale de base). Cela n’empêche pas la société de condamner légitimement tout employeur qui paierait un salarié moins que le smic. D’autres "consentent" à se séparer d’un organe et à la vendre pour vivre ou survivre. Cela n’empêche pas la société d’interdire l’achat d’un organe.
Porter un projet idéologique et utopiste. Abolir ne signifie pas éradiquer. L’abolition de l’esclavage n’a pas conduit à son éradication immédiate. Par contre, l’abolition a engagé l’État et toute la société aux côtés des esclaves et contre le système esclavagiste. L’abolition du système prostitueur, c’est un nouveau consensus social, un choix de société, une qualification de la violence prostitutionnelle qui permet ensuite et enfin d’adopter une série de mesures inscrites dans le cadre d’une politique globale et cohérente.
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Les signataires : Mouvement du nid, Collectif féministe contre le viol, Fédération nationale solidarité femmes, Centre national d’information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF), Osez le féminisme, Coalition Against Trafficking in Women (CATW), Femmes solidaires, Amicale du nid, Clara Magazine, Association française des femmes de carrières juridiques (AFFCJ), association Mémoire traumatique et victimologie, Regards de femmes, Femmes en résistance, Mouvement jeunes femmes, Les Trois Quarts du Monde, Collectif Alouette, L’égalité c’est pas sorcier, Espace Simone de Beauvoir, Coordination française pour le lobby européen des femmes.
Via Sysyphe, et Le Monde.
3 commentaires:
nat, est-ce que QS est également signataire de cette lettre???
C est une lettre venant de groupes français.
Tous les signataires sont nommés dans le bas du billet.
- L'idée de lier sexe et liberté est une idée de marchand de soupe yankee, qui a intérêt à promouvoir l'instinct animal.
- Quel que soit l'ordre moral en vigueur, il est toujours lié au sexe.
- En tant que mouvement de réforme sociale, le féminisme est une utopie de type libéral, bien que les régimes libéraux ont mis en esclavage les femmes plus que jamais, et s'en servent quotidiennement comme appâts commerciaux dans le cinéma ou la publicité.
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