jeudi 13 mai 2010

Kreuzberg: Analyse partielle

Tout d’abord, je crois que l’Allemagne (et l’Europe en général) a une tradition de contestation populaire beaucoup plus large et profonde. Les gens trouvent ça normal de manifester pour démontrer quelque chose. Ce n’est pas un truc d’illuminés, de jeunes rebelles, de hippies pas de jobs, ou de syndicats, c’est un droit et une manière de démontrer une contestation. C’est très différent de chez nous ou l’action de manifester n’est pas vue comme quelque chose de populaire. Et quand il y a manifestation, elle doit être encadrée et aseptisée. Il faut suivre les petits dossards, suivre les petits cônes, et surtout, les forces de l’ordre doivent être en vue tout le long.Justify Full
Aussi, en général, j’ai l’impression que nous sommes plus dociles. Comme le disait C. Gladel, nous râlons quand il se passe quelque chose que nous n’aimons pas, mais la société finit par avaler, même de travers. Je ne sais pas ce qui cause ça. Peut-être une tradition de libertés personnelles plus ancrée qui fait que nous avons plus de difficultés à voir le collectif, à nous intéresser au collectif ou tout simplement à construire collectivement. Peut-être parce que nous avons été bâtis sur le capitalisme, donc que nous avons plus de difficulté à en voir les effets nocifs ou que nous croyons réellement à ce « tout le monde a sa chance ».

Prenons par exemple plus spécifique cette fête des travailleurs et des travailleuses, ce 1er mai. Chez nous ce n’est pas une fête populaire, les gens n’ont pas congé pour le 1er mai. Par contre, nous fêtons le travail. Nous avons une fête du Travail, nous avons congé pour fêter le travail. Détail oui. Mais détail qui signifie quelque chose sur la manière dont cette société a été construite, ce qui est important pour elle, son échelle de ce qui doit être souligné.

Dans ce même exemple, nous pouvons aussi constater une totale appropriation du 1er mai par les syndicats. Ce n’est pas la fête de tous et de toutes et les manifestations s’en ressentent. Les séparations des différentes manifestations du 1er mai illustre un clivage dans les interprétations de ce qui doit être entendu et de qui peut/doit l’exprimer.

Une autre différence se trouve dans la stratégie policière. Celle de Berlin était tout autre que ce à quoi je m’attendais. Il y a eu peu de moments où nous nous sentions enfermés. Et évidement rien qui a ressemblé à une opération d’arrestation de masse. Il y avait le plus souvent un moyen de s’éloigner et de s’en aller. Et si plus le temps passait, plus nous pouvions constater un certain agacement de la par les forces de l’ordre et des gestes brusques, nous n’avions quand même pas peur d’être à côté d’elles. Chez nous, nous n’aurions jamais pu être aussi près sans nous faire attraper juste pour avoir été là. Aussi, les manifestantEs n’étaient pas oppressés dès le début de la journée. Nous ne sentions pas que les policierEs voulaient attiser le feu, contrairement à chez nous, mais qu’elle voulait laisser passer une certaine vapeur avant de réagir à un évènement.

Je ne sais pas pourquoi. Peut-être à cause de cette tradition de contestation qui est plus profonde qui fait que même si le nombre d’effectifs policiers est important (et il l’était!), il ne serait pas bon qu’il y ait trop d’arrestations, la population ne serait pas d’accords s’il n’y a eu aucune casse dans la ville. Ou peut-être que c’est parce que les affrontements pourraient devenir extrêmement plus violents étant donné la quantité de monde présent (et oui nous étions beaucoup!) ou les distances qui pouvaient séparer les deux groupes. En général j’ai été étonnée par cette vision de civilEs qui en plein moment chaud, se promenaient entre des petits groupes casqués sans que les policierEs ne tendent les bras pour les attraper. Mais je ne sais pas, en général je percevais moins de peur que chez nous. Bien sûr nous sommes moins, et la police est plus violente, mais il doit y avoir d’autres explications…

Je vais redire ce que j’ai pensé en me couchant ce soir-là : nous sommes loin des ligues majeures…

mercredi 12 mai 2010

Erste Mai in Kreuzberg III

MANIFESTANTS (ES) ET AUTRES CIVILS (ES)

En général, j’ai été agréablement surprise de la cohésion et de la cohérence des participantEs avant que ça ne devienne n’importe quoi vers la fin. Je suis désolée de le dire, mais à Montréal quand je vois « le Black Block » pour moi ça ne veut pas dire « troubles », ça veut dire « n’importe quoi ». Tandis que là personne ne s’en est pris à des commerces, à des voitures de gens (il y a bien une fourgonnette policière qui a failli être renversée et toutes étaient bombardées, mais on répète qu’elles appartenaient aux forces de l’ordre). Devant moi je voyais deux côtés représentants des forces sociales différentes, pas quelques individus en mal d’émotions fortes.

Qu’on me comprenne bien, sûrement que quelques individus en mal d’émotions fortes s’étaient réunis et qu’ils ne s’en pouvaient plus de mettre le feu a des poubelles, mais il reste que je sentais beaucoup plus l’affrontement entre deux forces qu’un soubresaut de rébellion d’adolescence. C’était peu être le nombre, mais je crois surtout que ce sont les cibles qui me faisaient dire ça. Des feux dans la rue, des projectiles sur les forces de l’ordre et sur leurs véhicules, mais pas de vitrines de magasin qui éclatent ou de voitures de particuliers retournées. En parlant à des AllemandEs on s’est fait dire que des fois et dans d’autres villes ça pouvait être plus violent, que les participants s’en prenaient à des banques ou des McDo. Mais encore là, je comprends bien le symbole des banques et des McDo, comparativement à la Honda de M.Tremblay ou du dépanneur du coin.

Dans le même ordre d’idée, j’ai bien aimé voir les participantEs à la manif se mêler aux passants pour faire la queue pour leurs achats ou pour attendre pour des toilettes. Et j’ai carrément été impressionnée quand j’en ai vu plein prendre des boissons dans un frigo extérieur et sortir de la petite tente dans le but de faire la longue file qui les menaient jusqu’à la caisse.

J’ai été aussi agréablement surprise de constater que la population et les commercantEs n’avaient pas l’air d’avoir peur de la manifestation et des participantEs, même quand elle a commencé à être plus troublée. Le fait que presque personne ne fermait son commerce (nous n’avons vu qu’une station-service qui a fermé… à cause de l’essence peut-être?) et que tout le monde continuait à servir dans les restaurants, les places à döners (fast-food), les kiosk (dépanneurs), et casinos (place à rassemblement de machines à sous) laissait penser que les manifestantEs n’étaient pas démonisés par les autorités. Que la population n’avait pas peur.

Aussi, il semblait que les manifestantEs n’avaient pas peur de la police. Dès le début ils et elles pouvaient être très près les uns des autres. J’ai vu des gestes qui ont été posés à l’endroit de policierEs ou de leurs véhicules qui n’auraient pas été possibles à Montréal. Les lancers de projectiles ne se faisaient pas toujours de loin, des fois c’était par des gens placés bien en vue des forces de l’ordre. Pareil pour les véhicules qui se faisaient bombarder ou juste frapper par les mains des manifestantEs qui passaient à côté.

mardi 11 mai 2010

Erste Mai in Kreuzberg II

LES FORCES DE L’ORDRE

Quand nous nous sommes arrêtés et que les gens ont commencé à s’en aller, à se promener ou à simplement s’asseoir là où ils et elles étaient nous avons remarqué qu’il y avait beaucoup de policierEs. Ils et elles ne bloquaient pas d’issues, aucune rue, aucun recoin, mais il y avait des grands ou des petits groupes casqués partout. Certains bougeaient, d’autres non. Étant des manifestantEs nourris au grain montréalais, nous avons eu peur qu’ils soient positionnés comme ça dans le but de se refermer brusquement en cercle. Ça nous a pris du temps à comprendre ce qu’ils voulaient. J’avais l’impression qu’ils voulaient seulement disperser la foule avec leurs petits groupes mouvants, et qu’ils voulaient laisser à tout le monde la possibilité de s’en aller, ce que beaucoup ont fait. Quand il y avait trop de monde ensemble ou trop de monde qui voulaient passer à un endroit spécifique il y avait des casques qui se déplaçaient, qui séparaient la foule ou qui bloquaient un coin d’issue pour faire passer les gens d’un autre côté. ManifestantEs, policierEs, BerlinoisEs voulant profiter du dehors, et touristes impressionnés passaient les uns à côté des autres souvent en se frôlant.

C’était surréaliste de voir les touristes se faire photographier à moins d’un mètre devant une colonne d’uniformes verts casqués, de voir de jeunes punks parler calmement à d’autres uniformes casqués, de voir des porteurs de drapeaux rouges s’excuser à une famille qui mangeait sur une terrasse parce qu’ils avaient accroché leur table.

Mais surréaliste est un mot auquel nous avons pensé souvent pendant la soirée.

Et toujours, personne ne brisait quoi que ce soit, les restaurants restaient ouverts et les vendeurs de döners étaient tout à coup débordés par tous ces gens qui voulaient manger ou boire. Rien ne fermait et les gens restaient sur les terrasses. Pour mieux voir, il y avait des gens perchés partout, sur les boites à malle, sur les abribus et sur des panneaux de signalisation. Il n’y a eu que vers la toute fin que la police n’a plus supportée de gens perchés. Tout le long et partout où nous nous déplacions des gens grimpaient.

Puis vient toujours un temps où le soleil se couche.

Avec le soleil qui se couche sont arrivées les forces de l’ordre en noir. Elles avaient toutes des matraques et beaucoup avaient des tasers. Nous n'en avons pas vu sur les vertes et elles n’avaient rien dans les mains. Seulement un vert par équipe avait un bouclier, les autres n’avaient que des menottes.

Je ne sais pas comment ça a commencé. J’ai seulement entendu un bruit sourd vraiment très près de moi. C’était le début de plusieurs heures à courir en rond ou à longer lentement les murs dans les rues autour de cette place.

Les policierEs courraient d’un côté à l’autre tout dépendant du côté ou le bruit arrivait. Ils passaient toujours à côté de manifestants ou de simples passants sans les arrêter, mais simplement en poussant brusquement ceux et celles qui étaient sur leur passage. Ils se faisaient lancer de gros bouts de pavés et des bouteilles de bière. Autant sur leur personne que sur leurs véhicules. Je répète qu’ils n’avaient pas de bouclier… De voir les bouteilles se casser sur leurs poitrines ou leur tête avec comme seule réaction de les voir regarder d’où venait le projectile, mais sans se déplacer dans cette direction c’était impressionnant. Et notre belle SPVM qui pleure pour des bouts de légumes pourris…

Détail important : en Allemagne, la consommation d’alcool est permise dehors. Ce qui fait que bien des gens s’étaient amené de la bière ou allaient simplement s’en chercher chez les vendeurs de döners ou les restos, qui eux étaient encore ouverts!

C’était surréaliste. Attendre dans une file pleine de manifestantEs pour acheter une bouteille d’eau dans un comptoir dehors pendant que des gens mangeaient, et qu’on entendait des bruits sourds, des bouteilles qui cassent de tous les côtés, le bruit lourd des bottes qui courrent, et la musique techno des bars et des clubs qui montaient le volume.

Nous n’avons vu personne essayer de voler des trucs dans les comptoirs dehors ou leurs frigos qui étaient à côté. Nous n’avons vu personne essayer de fermer son commerce.

À chaque pas nous marchions sur du verre cassé, et nous n’en revenions simplement pas de voir des gens continuer à acheter de la bière, de voir que les forces de l’ordre permettaient l’achat perpétuel de projectiles.

Finalement, les gens se sont séparés peu à peu. Les conflits s’éloignaient des endroits très occupés et les manifestantEs étaient séparés.


Un feu a été allumé, a brulé un peu puis les policierEs l’ont éteint. À chaque fois que les manifestantEs se déployaient quelque part, ils nous laissaient aller. C’est seulement près d’une gare nous avons compris qu’à cet endroit, ils ne voulaient pas qu’on passe. Trois camions avec des canons à eau nous attendaient. Les policierEs sont aussi devenus plus agressifs et étaient mieux couverts. On est resté là longtemps à se déplacer d’un côté à l’autre, à ouvrir les yeux et arrêter de respirer quand une colonne noire casquée passait au trot à quelques centimètres devant nous pour se diriger vers le bruit d’une explosion.

Nous étions de moins en moins dans cette grande rue, devant la gare. Pendant ce temps-là j’avais l’impression qu’il y avait de plus en plus de casques partout, noirs, blanc, verts.

Puis ce fut assez. Les forces de l’ordre nous ont dit de dégager la rue, plusieurs fois, et ont poussé tout le monde à l’autre extrémité de la rue en faisant avancer les camions. Ils n’ont pas formé une ligne compacte d’un bout à l’autre de la rue, mais plusieurs petites lignes qui avançaient dans la rue. Ils demandaient aux gens de sortir ou les poussaient brutalement. On a été quand même chanceux, nous avons eu droit au «bitte » et ils ne m’ont pas touché. Faut dire bien franchement qu’avec mon permis de séjour je n’avais pas envie de jouer avec le feu… Pwel n’a jamais obtempéré autant que ça, aussi vite je pense…

On s’est juste déplacé dans une autre grande place/ intersection pleine de bars et de clubs. C’est là que j’ai vu les premiers cocktails Molotov de la nuit et que les bouteilles ont recommencé à pleuvoir. C’est aussi là que j’ai vu un espèce de gros tank avec un canon à ondes et que nous nous sommes fait charger directement pour la première fois de la nuit. Avant, étant donné que nous ne mettions le feu à rien, nous étions ok même si nous étions des fois très près des policierEs, mais rendu là ils rentraient dans tout ce qui bougeait. Rendu là on avait besoin de courir très très très vite… Rendu là ils attrapaient les gens pour les arrêter.


C’était chaotique; les gens tapaient sur les véhicules des forces de l’ordre en marche tout en hurlant des « fuck you! », les véhicules allaient de tous les côtés, les colonnes d’uniformes casqués rentraient dans les gens de tous les côtés, des gens saouls criaient et riaient et nous entendions des petites explosions un peu partout. Et toujours la musique des bars et des clubs, qui n’étaient pas fermés mais pourtant si près de l’action, en arrière plan.

Nous sommes restés là un bon bout, mais ça se sentait que l’ambiance était différente. Il y avait tout à coup plein de gens saouls partout qui venaient grossir les groupes de manifestantEs. C’était plus difficile de nous séparer et nous paraissions plus imprévisibles qu’avant.

Nous sommes partis juste avant qu’ils ne tirent avec les canons à eau.

lundi 10 mai 2010

Erste Mai in Kreuzberg

Pour le premier mai, nous sommes allés manifester à Kreuzberg, un quartier de Berlin qui a connu son temps de squats autogérés, de mouvements alternatifs et révolutionnaires, et d’émeutes, dans LA manifestation anticapitaliste organisée par différents groupes. Cette manifestation est connue pour son agitation, et c’est donc devenu un rendez-vous annuel entre manifestantEs et forces de l’ordre. Les prochains billets seront une description de ce que j’ai vu et vécu. Je finirai par une analyse partielle de nos manifs à nous en prenant celle de Kreuzberg comme point comparatif.


LE REGROUPEMENT


Fouille polie, mais ferme à l’arrivée sur le site de départ. Les forces de l’ordre disaient « bitte (s’il vous plait)». Interdiction de masques, de cagoules et d’objets pointus.Et plein d’uniformes sur les toits tout autour.
Sur le site il y avait toute sorte de gens de tous les âges et de plusieurs provenances politiques différentes. Il y avait aussi des enfants et des bébés dans des poussettes. Il y a eu des discours pas très longs et dans plusieurs langues différentes. Il y a même eu deux discours différents venant de deux camions installés un à côté de l’autre. Nous n’avons pas trouvé ça très poli…


LA MANIFESTATION

Je n’ai jamais participé à une manifestation de ce genre. La puissance, la vitesse, l’autorégulation.

Il n’y avait aucune police, aucun personnage avec un petit dossard pour nous dire ou aller. Personne pour encadrer la manifestation. Mais croyez-moi, elle n’avait besoin de personne pour l’encadrer. J’avais l’impression que le trajet était connu des autorités; les rues étaient vides de voitures et il y avait des forces de l’ordre pour nous attendre vers la fin, mais avant ça les participantEs étaient complètement seulEs. Devant, au moment de bouger, il n’y avait plus d’enfants, plus de poussettes. Il semblerait qu’il y a un temps et un lieu pour tout.


Ça allait vite. On marchait très vite. En voulant prendre une photo de la bannière de tête, nous nous sommes retrouvés en avant avec des gens qui portaient foulards, lunettes de soleil et capuchons noirs. Comme quoi l’interdiction de porter des masques n’empêchait en rien le black block de cacher leurs visages. Ils et elles étaient vraiment beaucoup. Beaucoup plus que je n’en ai jamais vu en même temps dans n’importe quelle manif montréalaise. Nous sommes restés là un petit bout à scander des slogans anticapitalistes. C’est mon côté touriste, mais gueuler en allemand je trouve que ça donne du punch.

Fait intéressant; nous n’avons arrêté nulle part en cours de route. Pas de regroupement devant telle ou telle bâtisse symbolisant ce contre quoi nous étions. Pas de discours, pas de raison de se séparer ou de perdre le rythme. J’ai adoré.

La vitesse, le fait qu’on prenait toute la rue et les deux trottoirs, la force des voix mis en commun, le fait que quand je me retournais je ne voyais ni la fin, ni les forces de l’ordre, mais une mer de noir et de rouge, tout ça m’a donné la chair de poule. Sérieux.

Nous nous sommes déplacés à l’intérieur de la manif. Plus loin derrière il y avait des camions qui crachaient de la musique, des groupes communistes, socialistes, latinos, des clowns maquillés, des anarchistes... On voyait les visages; des jeunes adultes, des moins jeunes, et de tout jeunes adolescentEs.

Je n’ai vu personne casser quoi que ce soit, personne hésiter à une intersection, personne hésiter à prendre la rue.



La manif a arrêté aussi brusquement qu’elle avait commencé, nous étions à une intersection de plein de rues qui est aussi dans une grande place ouverte avec plein de bars et de clubs qui jouaient de la musique. Des restaurants et des snack-bars étaient pleins de gens, curieux, mais qui ne semblaient pas du tout apeurés, sur leurs terrasses et nous les frôlions en nous demandant ce qui allait se passer maintenant.