Dernièrement, plusieurs ont invoqué que dans un contexte où le mouvement de grève s’essouffle, qu’il n’y avait (1) aucune utilité stratégique à reconduire la grève. On a entendu ce type d’argument dans le cadre des débats sur la reconduction de la grève dans les assemblées étudiantes, on avançait que (2) le petit nombre d’une assemblée donnée ne pouvait avoir d’impact pour l’ensemble du Québec. D’autres arguments furent aussi apportés pour nourrir la démobilisation, notamment le fait (3) qu’il fallait plutôt se mobiliser massivement pour transposer notre opposition dans la sphère électorale (donc institutionnelle). De plus, on a aussi entendu que si (4) notre bataille présente était finie, et qu’on devait être lucide et l’accepter, par contre notre mouvement existait toujours, donc d’autres batailles étaient à venir. Nous tenterons de répondre ici à ces objections quant à la continuation de notre mouvement de grève étudiante sans précédent dans l’histoire du Canada.
(1) L’existence persistante d’un mouvement de grève, même très moindre que ce qu’on a connu au printemps 2012, constitue une menace potentielle pour le prochain gouvernement québécois et maintient vivant dans l’espace public nos revendications. Cette menace potentielle constituant un noyau dur sert à rappeler au prochain gouvernement quelle doit être sa priorité numéro un, car si les lendemains électoraux venaient qu’à décevoir le mouvement étudiant, d’autres associations étudiantes collégiales ou universitaires pourraient décider de le rejoindre par des votes de grèves. De plus, il est évident que des influences puissantes agissent sur tout gouvernement, notamment celle de la communauté d’affaires et celle des idées néolibérales, et que ceux-ci se sentent peu ou pas liés par leurs promesses électorales qui ne visent au fond qu’à nous vendre leur parti que nous achetons avec nos votes. Dès lors, la prudence est de mise devant les bienfaits potentiels que nous pourrons tirer de l’élection hypothétique du Parti québécois. Et si d’aventure nous devions nous retrouver devant un gouvernement libéral ou caquiste, nous serrions alors nu-e-s comme l’empereur de la fable se croyant vêtu des plus riches parures.
(2) La grève du printemps dernier constitue justement l’agrégation de petites associations étudiantes à travers le Québec qui ensemble ont constitué un grand mouvement, et si chacune d’entre elles s’était justement dit que son poids était dérisoire et son action vaine, nous n’aurions pas connu cette mobilisation massive. D’ailleurs, dans le contexte actuel où l'on voit le mouvement de grève décroître, et où l’on se dit que cette décroissance est une donnée objective, et finalement que l’on cède à la réalité en quittant le bateau en perdition, on en vient plutôt à transposer cette idée que le mouvement décline en une réalité, il y alors prophétie auto-réalisante empêchant justement de mettre un frein au déclin numérique de notre mouvement. Combien d’associations étudiantes sont-elles tombées en invoquant cette « fatalité », en amenant d’autres à tomber aussi en en appelant toujours à cette « fatalité ». À cela on ne peut que répondre par le courage politique et l’espoir, deux des ferments de la grève actuelle qui nous ont permis de s’opposer au pouvoir étatique et à ses moyens de répression ainsi qu’à nos administrations scolaires voulant miner notre mouvement.
(3) Le mouvement de grève actuel, par son existence même et ses revendications, constitue une critique de nos institutions politiques libérales et de leur présomption à détenir seules la légitimité politique. Le maintien du mouvement de grève permet donc la continuité de la présence publique de cette critique voulant que la rue, le peuple, et les groupes collectifs non étatiques jouissent aussi d’une partie, sinon, de toute la légitimité politique. L’arrêt du mouvement de grève en un contexte électoral en vient ainsi à dire, par cet arrêt même, que seule la sphère institutionnelle possède la légitimité dans notre régime et peut trancher les différents politiques par la « volonté des urnes ». C’est dire aussi que tout notre mouvement visait à obtenir des élections dans le régime politique actuel, donc que nous nous accommodons très bien du statu quo tant que l’on nous accommode en tant que « groupe de pression ». Or, justement, le mouvement étudiant n’est pas un groupe de pression, la portée de nos revendications, touchant notamment la place de l’université dans la société, dépasse nos seuls intérêts immédiats (soit la hausse des frais de scolarité). De plus, avec la population qui nous a rejoint dans les manifestations, le mot d’ordre disant que « La grève est étudiante et la lutte populaire » s’est validé.
(4) Certes, la fin d’une bataille, advenant que c’est actuellement le cas (ce dont je doute fortement) ne constitue pas nécessairement la fin du mouvement social qui l’a vue naître. Nous ne contestons pas la validité de cette affirmation, mais elle ne dit pas toute la vérité. En effet, les batailles présentes nourrissent le mouvement futur, elles constituent des exemples à suivre, elles créent des mythes appelant les nouvelles générations à l’émulation. Mais pour cela, ces batailles doivent pouvoir être interprétées positivement, c’est-à-dire qu’elles doivent pouvoir laisser espérer aux successeur-e-s que la lutte valait le coup plutôt que la passivité, car cela était garant de gains importants que ne procurerait pas la sphère institutionnelle. En arrêtant notre mouvement maintenant sans gain, comment nourrirons-nous l’imagination des prochain-e-s militant-e-s ? Que diront-ils et elles de notre bataille longue et épuisante, mais vaine ? En ce sens, nous n’avons pas qu’une responsabilité à notre égard, mais aussi envers nos futur-e-s camarades de lutte.
Voter ou ne pas voter ? Nous dirions que la réponse nous appartient, tant d’arguments pour ou contre s’avèrent valides. Mais même si l’on vote, on peut toujours se mobiliser car c’est par la pression de la rue que les gouvernements accordent des gains aux mouvements sociaux et non parce qu’ils seraient bienveillants. En somme, comme on le voit, le maintien de la grève, même si nous ne sommes que 20 000, a de grands avantages stratégiques. De plus, en février dernier la plupart des associations étudiantes s’étaient dotées d’un plancher de grève de 20 000 étudiants. À ce moment plusieurs ont soutenus que ce plancher était trop grand, qu’il était inatteignable et qu’il risquait de rendre l’effectivité de la grève impossible. Or, une fois ce plancher atteint (en très peu de temps d’ailleurs), il a fait boule de neige et ce plancher a été très largement dépassé en moins d’un mois. Donc, si ce noyau se maintien, il sera plus facile de remobiliser le mouvement. Par ailleurs, il y a six mois, nous considérions qu’à 20 000 le mouvement disposait d’un nombre des plus suffisant pour établir un rapport de force viable avec le gouvernement. Dans cette perspective, comment aujourd’hui nous pourrions soutenir le contraire? Parce que nos prédictions et nos espoirs ont été dépassés? Nous devons nous rappeler de notre situation il sept mois et nous rappeler qu’à plus de 20 000 grévistes, le mouvement est toujours fort. Il est moins fort peut-être, mais il n’est pas encore moribond. Qui plus est, si nos espoirs et nos prédictions furent une fois dépassés, il est possible qu’ils le soient encore une seconde et une troisième fois. Rappelons nous qu’à 20 000 grévistes, le mouvement dénote déjà d’une très forte mobilisation. Or aujourd’hui, nous sommes encore plus de 20 000 étudiant-e-s disposant d’un mandat de grève générale illimitée.
David Sanschagrin, Nour Benghellab et René Delvaux
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