vendredi 7 décembre 2012

"Les Territoires occupés palestiniens entre gestion martiale et gestion carcérale"

Vincent Romani
Professeur de science politique,
Université du Québec à Montréal

(Refusé de publication par Le Devoir, au 23 novembre 2012)
Les Territoires occupés palestiniens entre gestion martiale et gestion carcérale

La mise en scène médiatique et diplomatique des récents évènements dans la bande de Gaza occulte une réalité que la majorité des acteurs politiques, palestiniens comme israéliens, entendent nier : l’occupation illégale des Territoires palestiniens par l’armée israélienne depuis 45 années, avec son cortège sans fin d’oppression et de spoliation fondées sur une discrimination ethno-religieuse d’État.

Tantôt assassinés ou emprisonnés, tantôt cooptés ou tolérés en fonction de leur docilité, les dirigeants palestiniens, toujours à portée de balle ou de missile israélien, ne sont pas des pairs diplomatiques ni des « partenaires » autonomes : à l’instar de leur société, ils sont prisonniers dans un système coercitif implacable. Repoussés puis maintenus à distance démographique et démocratique d’Israël, ces habitants non juifs, rendus étrangers et indésirables sur les terres de leurs parents, subissent chaque seconde de chaque journée la violence de l’occupation israélienne.

Cette violence permanente est diffuse, peu médiatisée car peu spectaculaire : rareté de l’eau pour les maisons et pour les cultures (mais profuse pour les 500 000 colons juifs israéliens) ; rareté des terres arables car les meilleures sont soit spoliées par les colonies en Cisjordanie, soit incultivables à Gaza en raison du blocus, de la pollution des eaux, de l’interdiction de facto mise en place par l’armée israélienne ; difficulté à réaliser les maigres récoltes car les colons armés et protégés par l’armée agressent régulièrement les paysans cisjordaniens sur les terres qui leurs restent, incendiant des oliviers centenaires ; électricité chère et rare pour les familles, les hôpitaux et les administrations ; interdiction générale de déménager d’une enclave vers une autre enclave ; entrave permanente à la liberté de se déplacer où d’étudier dans l’université de son choix, dans le pays de son choix ; humiliation et terreur permanente de l’arbitraire des soldats, de l’invasion nocturne de domicile, des coups , des arrestations et contrôles sans fin, des bombardements, de la disparition du père ou du frère pour « raisons de sécurité », c’est-à-dire pour sécuriser l’occupation et les colons. Le résultat de cet écrasement massif, pendant plusieurs décennies, d’une des sociétés auparavant les plus développée du Proche-Orient est stupéfiant : malnutrition et problèmes majeurs de santé publique ; sous-développement économique et institutionnel ; système de rente humanitaire ; dysfonctionnements sociaux et politiques multiples.

Le traitement des Palestiniens est militarisé de plusieurs manières : par les milices locales acceptées par Israël pour sous-traiter la violence de l’occupation ; par l’armée israélienne plus directement aux lieux et moments jugés plus importants ; dans les discours également, ce qui finit par occulter les réalités sociales, historiques, politiques décrites ici. Par exemple, les communiquants militaires israéliens expliquent le meurtre « inévitable » de non-combattants et enfants palestiniens par la densité démographique de la bande de Gaza, la plus élevée au monde. Mais cette manière technique et militaire de poser le problème permet d’oublier des faits politiques élémentaires : si les Palestiniens sont si nombreux dans cette bande de terre, c’est que 70% d’entre eux sont des réfugiés ou descendants de réfugiés, expulsés lors des guerres de 1948, enfermés depuis par Israël et ses alliés égyptiens et états-uniens dans des camps insalubres, au mépris du droit international prescrivant leur retour ou leur compensation.

De même, la militarisation du vocabulaire permet de considérer toute institution plus ou moins gouvernementale à Gaza comme « appartenant » au Hamas ; les bureaux du premier ministre, élu démocratiquement en 2006, sont ainsi renommés en « quartier général » pour justifier leurbombardement. Aussi les combattants palestiniens seraient coupables de lâcheté militaire en se « cachant derrière les civils » dont nous venons d’expliquer les raisons de la densité ; bombarder une population du haut d’un bureau, d’un ordinateur ou d’un avion de combat est certes moins suicidaire.

Plus fondamentalement, ce que révèle ce nouvel épisode martial est la manière israélienne de gérer son occupation et sa colonisation des Territoires palestiniens, émiettés à dessein en plusieurs enclaves politiques isolées les unes des autres, dans lesquelles sont entassés un maximum de Palestiniens pour libérer un maximum de terres au « grand Israël biblique ». Cet objectif ne s’embarrasse pas de machinations ou de conspirations sophistiquées, tant est forte la domination israélienne. L’immense supériorité de sa position permet toujours à Israël de capitaliser à son profit les changements, prévus ou imprévus, causés par ses offensives : révolte palestinienne ? « cela justifie leur traitement militaire » ; docilité palestinienne ? « c’est que la force fonctionne contre eux mais ils ne sont pas assez démocrates » ; élections palestiniennes ? « ils sont trop démocrates car élisent des islamistes ». Ainsi les élites politiques palestiniennes, potentats de misérables réserves, sont-elles régulièrement et savamment taillées à la mesure du patient jardinier militaire israélien. Et tous, ici et là-bas, font semblant de croire que le mot « État » changera cette réalité de confetti colonial. (Montréal , 20 novembre 2012)

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