Pourquoi la défense de l’avortement diffère de la défense de la prostitution
Réponse à un argument pro-décriminalisation
J’ai reçu il y a quelques heures un hyperlien menant à un blog par l’entremise d’une liste de diffusion féministe ; une liste de diffusion qui a, comme la majeure partie de la communauté féministe ailleurs, connu énormément de débats houleux concernant la prostitution, le « travail du sexe », l’abolitionnisme et la décriminalisation.
L’auteure de ce message affirme souhaiter une « véritable » réponse à des questions précises qu’elle pose aux abolitionnistes et laisse entendre, par le titre de son message – « Choisir nos batailles : Pourquoi le mouvement féministe doit cesser de débattre et appuyer la décriminalisation du travail du sexe » – que ce qu’elle désire vraiment est de mettre fin aux luttes intestines et faire ce qui est mieux pour les femmes (ce qui est évidemment ce que nous souhaitons toutes)...
Mais cela dit, son message – dès son – fait allusion à autre chose que le souhait d’un discours véritable. Il suggère non seulement que la décriminalisation totale est la seule avenue dont dispose le mouvement féministe pour trouver une solution à la prostitution et à l’exploitation des femmes par les hommes, mais les questions qu’elle pose semblent afficher, encore une fois (j’écris « encore une fois » parce que c’est malheureusement un cliché des arguments opposés à l’abolitionnisme et favorables à une décriminalisation intégrale), une absence totale de recherche et une réticence à écouter et à comprendre les arguments et les revendications des abolitionnistes. On y voit aussi l’imposition d’une étiquette, celle de « prohibitionniste », qui montre, là encore, un manque total de compréhension des arguments critiqués. Lorsqu’on amorce une conversation qui prétend à l’authenticité et que l’on s’empresse de dénaturer ou d’interpréter à tort l’argumentation de l’autre partie, cette intention est difficile à prendre au sérieux.
À cause de cela, deux des trois questions que l’auteure prétend poser de bonne foi ne peuvent en fait trouver réponse de la part des abolitionnistes. Ce sont les questions :
2) Comment, en termes pratiques, la prohibition contribue-t-elle à l’objectif de l’abolitionnisme ? et 3) Où la prohibition s’est-elle avérée un outil efficace pour changer des conditions sociales ou modifier des pratiques sociales ?
La prohibition est la pratique d’interdire la fabrication, le transport, l’importation, l’exportation, la vente et la consommation d’alcool et de boissons alcoolisées. Les femmes ne sont pas des boissons alcoolisées. Nous ne sommes pas des produits destinés à être achetés, vendus, fabriqués ou commercialisés, bien que je suppose que ce point de vue soit révélateur de celles et ceux qui aimeraient utiliser ce terme ; peut-être que ces gens considèrent en effet les femmes comme des « produits » de consommation qui devraient pouvoir être achetés et vendus librement ?
En contrepartie, l’abolitionnisme fait référence au projet de mettre un terme à quelque chose, à une pratique. Ce terme a d’abord servi à désigner le mouvement qui cherchait à mettre fin à l’esclavage et à la traite négrière. Il est aujourd’hui utilisé par des féministes en référence à un mouvement cherchant à mettre fin à la prostitution et à la traite des femmes. Les féministes qui luttent pour l’abolition considèrent la prostitution comme une forme d’exploitation et un exemple de privilège et de pouvoir masculins. Pouvez-vous voir les similitudes ici ? Je trouve que si nous posions les « véritables » questions, nous utiliserions les bons termes.
L’auteure poursuit en posant les questions : « Qui devrait être criminalisé ? Les travailleuses et travailleurs du sexe, les clients, les « madames » (propriétaires de bordels), les membres de la communauté fétichiste, les enterrements de vie de garçon, les propriétaires de bars ou clubs ? »
Encore une fois, pour moi, tout ce que cette question démontre de sincère, c’est une sincère absence de recherche, une intention véritable de ne pas entendre ce que disent les femmes. Les abolitionnistes ne réclament aucunement la criminalisation des travailleuses du sexe. Elles plaident au contraire pour la dépénalisation complète de femmes prostituées, mais pour la criminalisation des proxénètes et des clients. C’est aussi simple que cela. Pour celles et ceux qu’intéresse sincèrement les véritables arguments de féministes et d’abolitionnistes véritables, voici quelques hyperliens à des références et de nombreux autres documents à consulter.
La plate-forme abolitionniste n’a jamais réclamé que l’on « sévisse » contre les femmes qui travaillent dans l’industrie du sexe ; elle revendique plutôt que l’on mette fin au privilège masculin, à la violence masculine et à l’exploitation et aux sévices infligées aux femmes et au corps des femmes. Elle revendique que, dans une société réellement égalitaire, il n’y ait pas d’« entente » autorisant les hommes à accéder au corps des femmes, simplement parce qu’ils ont l’argent et que les femmes ont besoin de cet argent. Dans une société réellement égalitaire, nous ne croirions pas que les hommes ont ce droit ou que les hommes ont en quelque sorte besoin d’utiliser le corps des femmes sous peine d’agresser ou de violer (un argument fréquemment employé à l’appui de la prostitution).
Prostitution et avortement
Enfin, l’argument central de l’auteure est que « Pendant des décennies, les féministes ont répété encore et encore que la criminalisation de l’avortement ne mettrait pas fin aux avortements. » Mais comment peut-elle comparer la criminalisation continue, par des hommes sexistes de droite, de l’accès à l’avortement par des femmes – dont les vies sont menacées, soit par des procédures bâclées ou par l’accouchement – aux tentatives par des femmes féministes d’entraver le droit d’accès d’hommes sexistes aux corps de femmes dont les vies sont également menacées ? Les droits génésiques assurent aux femmes un contrôle sur leur vie et sur leur corps. Comme le souligne l’auteure, « les femmes meurent lorsque l’avortement n’est pas accessible ». Les femmes devraient avoir le droit de choisir si elles doivent ou non donner naissance, si elles veulent ou non éduquer des enfants. C’est à elles que devraient revenir ces décisions, pas à des hommes. Mais des femmes meurent également aux mains de proxénètes, de clients, de propriétaires de bordels et des trafiquants.
Les abolitionnistes ne souhaitent aucunement criminaliser les femmes : elles veulent un monde où les hommes sexistes ne sont plus autorisés à se payer de la violence sexuelle contre les femmes, où le privilège masculin ne signifie plus que des femmes sont forcées à vendre leur corps aux hommes. La seule comparaison qui tienne entre ces deux enjeux est que l’abolitionnisme et le mouvement pour le droit à l’avortement exigent tous les deux la liberté pour les femmes face à une société patriarcale qui enferme les femmes dans des rôles d’outils sexuels à l’usage des hommes.
En réponse à ce message, et au souhait prétendument authentique de son auteure pour une conversation sincère, je suggère que nous commencions par a) de la recherche, b) l’utilisation correcte des termes avec lesquels décrire le mouvement abolitionniste, et c) une écoute véritable des personnes quand elles parlent. Quand un argument démarre en posant a priori que les abolitionnistes réclament la criminalisation des personnes prostituées et ne cesse de qualifier leur mouvement de « prohibitionniste », tout ce dont il fait preuve est d’un manque d’intérêt pour la conversation, la sincérité, les voix des femmes et la vérité.
Essayez de faire mieux.
Meghan E. Murphy
Vancouver, le 25 août 2011
8 commentaires:
Texte et débat intéressant.
Ma seule remarque, et je sais que je me répète sur ce point, je ne vois pas comment on peut en finir avec la prostitution au sein d'une société capitaliste. On ne ferait que déplacer le problème. Même chose si on tente de réintégrer les itinérants (surtout des hommes en passant, du moins à mtl et en Occident) dans la société. Ces problèmes sont systémiques. La société entière est basée sur l'exploitation et l'exclusion.
Car non seulement on vie dans une société partriarcale, mais on vie dans une société de classes (capitaliste), qui baigne dans l'âgisme, le racisme, le spécisme et j'en passe.
Pour moi la force de l'anarchie elle est là. C'est une philosophie qui s'attarde à l'ensemble des formes d'exploitation et qui ne met pas l'accent sur une forme au dépend d'une autre, même si malheureusement, plusieurs anarchistes sont obsédéEs par l'État et oublient tout le reste. De même que les marxistes sont obsédéEs par l'économie et la lutte de classe et oublient les autres formes d'exploitation, je trouve que les féministes finissent par oublier les autres formes d'exploitation à force de s'en prendre au patriarcat (non sans raison, là n'est pas mon point). Moi aussi je suis pour l'abolition, mais je pense que le problème est plus large que pour ou contre l'abolition de la prostitution. Je pense qu'on doit aller plus loin, si on désire réellement la liberté, la justice et l'égalité. C'est tout.
Et désolé si je m'éloigne du sujet. Mon but n'est pas de faire dérailler ton billet, mais de susciter le débat.
Commentaire mal (voire pas) informé. Au sein du mouvement féministe, il y a des préoccupations pour de multiples oppressions, d'abord parce qu'il y a des féministes venant de tous milieux sociaux, des féministes qui travaillent sur les rapports de race (par ex Elsa Dorlin, et avant elle Colette Guillaumin en france), sur les minorités sexuelles(mouvements trans et lesbiennes radicales(par ex Monique Wittig)), sur les personnes en situation de handicap (Maudy Piot) il existe même un terme utilisé au sein du mouvement féministe pour décrire la corrélation entre les différentes formes d'opression, qui s'appelle en anglais "intersection". Merci de vous renseigner un minimum avant d'écrire des choses s'il vous plaît.
@ Ko : J'ai voulu soulever une tendance chez le féminisme, comme je l'ai fait pour les anarchistes et les marxistes. Je sais que les féministes ne pensent pas toutes de la même façon, sinon le débat sur l'abolition de la prositution n'aurait pas lieu au sein des féministes. Et il y divers types de féminisme (le féminisme libéral et le féminisme radical, ce n'est pas la même chose).
Si plusieurs féministes reconnaissent différents types d'opression, il y a à tout le moins une tendance lourde que les féministes ont du mal à contourner. En analysant la société fondée sur la classe des hommes qui domine la classe des femmes, on omet de dire que certaines femmes sont en position d'autorité face à certains hommes. Ma supérieure immédiate à mon travail est une femme. La chargée de cours que j'ai eu cet été et qui m'a fait vivre l'enfer était aussi une femme (On va encore me reprocher de sortir un exemple personnel, mais des exemples de ce genre, il y en a plein. Je ne suis pas le seul homme dans cette position. Par exemple, je n'étais pas le seul homme dans ce cours). Je vous l'accorde, au sommet de la pyramide, ce sont des hommes qui sont au-dessus d'elles. Mais je trouve que les féministes parlent comme si tous les hommes étaient au-dessus de toutes les femmes. Non seulement c'est faux, mais c'est insultant.
Je vais revenir sur ce sujet sur mon blog à partir d'un texte de Francis dupuis-déri (plus précisément sur les hommes anarchistes et le féminisme). J'ai déjà occupé trop d'espace ici.
@Bakou
Premierement je comprends ce que Ko a voulu apporter (d'ailleurs; bienvenue dans cet espace Ko :) )...
C'est un peu insultant de se faire dire:
"il y a à tout le moins une tendance lourde que les féministes ont du mal à contourner. En analysant la société fondée sur la classe des hommes qui domine la classe des femmes, on omet de dire que certaines femmes sont en position d'autorité face à certains hommes. "
Tu sors des vieux concepts (auxquels j adhère avec certains bémols) de féministes radicales matérialistes (classes d hommes vs de femmes) et tu les fait passer pour universellement féministes. Ce qui est loin d'être le cas.
Avec le défi postmoderne apporté au moulin féministe (que tu illustre superbement en voulant partir ton analyse de ton expérience empirique à toi) et la sensibilisation qui a été faite par les féministes du sud face à leur situation vs les féministes blanches, sans compter les problèmes de classe sociale qui sont toujours avec nous, et les "nouvelles" problématiques sociales d'immigration, le féminisme, fidèle à lui-même, n'a pas manqué de réfléchir et de critiquer ses approches qui semblaient dépassées ou trop englobantes.
D'un point de vue théorique plusieurs chercheuses essaient de dépasser ces systèmes statiques par des nouveaux concepts/nouvelles théories. Ainsi par l'idée d'intersectionnalité (au Québec le mot est utilisé en français) ettayé par Crenshaw ou encore celui de cosubtentialité des rapports sociaux (Kergoat), il y a moyen de se pencher sur l oppression/exploitation des femmes dans un moment x/ou une situation y en sachant pertinament que ces mêmes femmes peuvent être exploiteuses ou oppressantes en d'autres moments/situations...
D'un point de vue militant je trouve ça platte ce que t as dit parce que ça me fait penser au monde qui tappent sur la tête de militantEs pour une cause parce qu ils et elles ne militent pas AUSSI pour les baleines japonaises ou la disparition de l habitat du tigre. Quand on milite faut faire des choix.
Et pour ce qui est de ton expérience a toi avec certaines femmes... (au risque de me répéter)... c est pas parce que t as souffert qu elles ne se font pas oppresser ou exploiter par un systeme patriarcal... au Québec une femme avec une maitrise gagne encore 17% de moins que son collègue masculin (hihi c est peut etre le cas de ta chargée de cours:P), c est les femmes qui sont les plus pauvres, c est elles qui risquent le viol, et qui vivent le plus dans des logements insalubres... ah oui c est encore la majorité de familles monoparentales ...
Donc que tu te fasse chier par une pas fine a pas vraiment de lien avec l etude et le combat contre le systeme patriarcal. Qui a mon avis doit toujours etre vu comme en relation organique avec les autres systeme d oppression.
@ Pwel : J'ai pris la peine de dire qu'il y avait d'autres hommes dans mon cours. J'avais même prévu ta critique avant que tu ne la formule, mais tu as fais comme si je n'avais rien dit. Ce n'est pas qu'une question d'expérience personnelle. Pourquoi tu réduis tout à ça? Ce n'est pas que mon vécu, mais celui de plusieurs hommes. Et ce n'est pas une question de gentillesse ou de méchanceté mais de position hiérarchique. Même chose pour le travail. Je ne suis pas le seul homme a avoir eu des supérieures de sexe féminin. Et leurs salaires est plus élevé que celui des hommes qui sont en dessous d'elles sur leur lieu de travail.
«D'un point de vue militant je trouve ça platte ce que t as dit parce que ça me fait penser au monde qui tappent sur la tête de militantEs pour une cause parce qu ils et elles ne militent pas AUSSI pour les baleines japonaises ou la disparition de l habitat du tigre. Quand on milite faut faire des choix.»
À moyen/long terme, je ne crois pas qu'on puisse faire des gains sur nos lieux d'exploitation et que nous devons en sortir si on veut réellement renverser le «système» ou les systèmes d'exploitation. Je préfère une lutte et une analyse globable qu'à des luttes dispersées et parcellaires. On doit faire des choix tant et aussi longtemps qu'on reste avec le vieux modèle du militantisme traditionnel, mais je pense qu'on doit le remettre en question.
Je pense qu'on communique mal tout les deux par écrit, alors je pense que je vais m'en tenir à ce que j'ai dit, parce que là j'ai l'impression que tu déformes mes propos et dans ce cas, ça ne peut pas aller nulle part.
Je trouve ça platte d'en arriver là car il me semble qu'on s'entend bien dans le monde non virtuel, mais on en revient plus ou moins au même noeud que la dernière fois.
ben voyons... je suis a veille de ressortir le clown chantant...
1- ton expérience empirique (et celle des autres hommes) dans ton cours et dans ton travail est la preuve que ca vaut la peine de voir les rapports d oppression/de domination comme fluctuants...
2- penser qu une personne, parce qu a un moment précis est placé différement à l'intérieur des rapports de domination, SORT d un autre rapport de domination... n a pas de sens. Ce n est pas parce qu une femme blanche est cadre ou enseignante qu elle est totallement en dehors de l oppression sociale patriarcale.
3- Sois clair svp. Tu bitch parce que "les feministes se concentrent sur la lutte patriarcale", on te démontre que les féministes s intérressent à plein de rapports d oppression différents et tu "préfère une analyse globale"
Euh... qu est ce que tu veux au juste?
...Pi j aimerais ca que tu me laisse décider si je communique mal ou non par écrit... me semble que je me relis et qu au contraire je communique ben mieux par écrit sur un sujet comme celui la...
Dans le même ordre d idée que ce qui s est déjà passé ici... Si tu veux écrire ici sur ces sujets tu prend la chance qu on te réponde... et te défendre en disant qu on comprend rien/déforme tes propos ben c est un schème de défense pas mal agressant pour celles qui jasent avec toi.
Pi non ca change pas mon amitié a ton endroit de dire tout ça
euh... pi me semble que par rapport au salariat c est la norme que nos supposés supérieurs aient un meilleur salaire que nous non?
je comprend pas ton point de dire que ta boss gagne un meilleur salaire que toi...
Le patriarcat est quelque chose qui change dans l espace et le temps... tous les hommes n y gagnent pas les memes privilèges... donc le fait que dans le systeme capitaliste ta boss femme gagne plus que toi homme n implique en rien qu elle n est pas oppressée par le patriarcta. Ca n implique en rien qu elle ne se fasse jamais violer, ca n implique en rien qu elle tombe monoparentale sans support, qu elle soient obligée de se prouver plus souvent que ses collegues hommes, ou qu elle se tappe tout le ménage chez elle et que son chum non.
Essayer d enlever la propriété oppressive du systeme sur des femmes privilégiées, pour la seule raison qu a certains moments elles sont plus privilégiés que toi, homme, ben c est pas ca qui fait que "la lutte globale contre l oppression" va se construire.
Au contraire, je pense que c est en prennant en compte que tout le monde peut etre oppresseur et oppressé qu on touche plus a quelque chose...
... pi by the way on peut parler d anarchie...mais dans le systeme qui nous entoure meme nos merveilleux mouvements anarchistes puent le patriarcat... t entend des jokes sexistes, c est les filles qui se tappent la bouffe et le rangement, c est les gars qui sont en avant plsn et avec les mégaphones...
Donc anarchisme en tant que pensée qui nous aide a comprendre et a lutter contre l oppression et l exploitation : je suis 100% d accord. Mais qu on vienne pas me dire que la pensée anarchiste a créé des légions d hommes qui sont au courant de leurs privilèges et qui veulent s en défaire.
Faut pas charrier
Le Patriarcat (à mon sens) n'est pas lié au sexe biologique .
Le Patriarcat c'est un machin total .
Le Patriarcat c'est un systéme , pas un organe .
Bon , voilà ... Je passais comme ça ...
Allez ! Bizous !!!!
CIAO !!!!
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