Nous, survivantes de la prostitution ainsi que celles d’entre nous qui sont encore exploitées dans l’industrie du sexe, déclarons que la prostitution est une forme de violence envers les femmes.
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Nous clamons haut et fort que la prostitution n’est rien d’autre qu’une forme d’exploitation sexuelle, l’une des pires formes permettant de perpétuer l’inégalité effarante et historique des femmes, et une violation de nos droits les plus fondamentaux.
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Nous n’avons pas un beau jour « choisi » d’entrer dans l’industrie du sexe, c’est plutôt elle qui nous a choisies en se servant, entre autres, de notre pauvreté, de nos passés empreints d’agressions sexuelles, des proxénètes qui ont su deviner et profiter de nos vulnérabilités et des hommes qui, en toute impunité et avec l’accord de la société canadienne, nous ont achetées.
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Nous nous opposons fermement au jugement Bedford c./ Canada, qui ne se préoccupe pas du tout des femmes les plus pauvres et les plus vulnérables en plus de faire fi de la troublante surreprésentation des femmes autochtones qui se retrouvent dans les rues de plusieurs provinces canadiennes.
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Nous nous opposons également fermement à toute légalisation subséquente de la prostitution. La prostitution doit être éliminée. Elle ne doit pas être légalisée, ni totalement décriminalisée et encore moins être promue comme « un travail comme un autre » ou une alternative économique souhaitable.
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Nous réclamons la décriminalisation de toutes les femmes exploitées dans l’industrie du sexe, car notre condition s’est empirée à cause de lois et de politiques qui nous ont traitées et nous traitent encore comme des criminelles, des citoyennes de seconde classe qui méritent bien ce qui leur arrive.
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Nous dénonçons les clients-prostitueurs, les proxénètes, les gérants et les propriétaires d’agences, de clubs de danseuses, de salons de massage, de bordels qui agissent en toute impunité. Notre condition ne cesse de s’aggraver dans les clubs de danseuses depuis la légalisation des danses contact. Elle s’aggrave également quand les municipalités et les provinces octroient des permis à des établissements voués à la prostitution accordant du même coup une protection légale aux proxénètes, aux clients-prostitueurs et à l’industrie du sexe.
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Nous exigeons que le lobby pro « travail du sexe » cesse immédiatement de s’improviser porte-parole de toutes les femmes qui ont été exploitées dans l’industrie du sexe et de celles qui le sont encore.
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Nous refusons qu’il continue de parler en notre nom, car ce lobby se complaît à ignorer la majorité dont nous faisons partie. Il nous ignore et invalide notre parole parce que nous sommes toutes très critiques de l’industrie du sexe et que nous en dénonçons la violence inhérente. La masturbation intellectuelle à laquelle se prêtent certaines personnes, soi-disant solidaires des femmes, doit immédiatement cesser.
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Nous réfutons l’idée que nous ayons été ou que nous sommes des travailleuses du sexe. La réalité que cette expression dissimule nous donne froid dans le dos. Que croyait le lobby pro « travail du sexe » ? Qu’en inventant une nouvelle expression, tel un coup de baguette magique, l’exploitation et la violence dont nous avons été victimes se transformeraient en travail ? Non, non et non, il ne suffit pas d’avoir de nouvelles expressions à la mode pour effacer l’inavouable, l’inexplicable.
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Nous réaffirmons que la prostitution n’est ni un travail, ni un métier, ni une profession.
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Nous exigeons des politiques sociales et économiques qui permettront de prévenir l’entrée dans la prostitution et qui soutiendront toutes celles qui désirent quitter la prostitution.
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Nous sommons finalement le gouvernement canadien d’agir et d’adopter le modèle scandinave.
Ceci est le manifeste qui a été présenté pendant la fin de semaine du Tribunal contre l'exploitation sexuelle commerciale.
Des voix qui sortent ou sont dans l'industrie:
Parce que ce n'est pas un débat neuf
Parce qu'on oublie souvent le bas de la pyramide.
Et aujourd'hui d'autres se lèvent et refusent qu'un lobby parle en leur nom.
9 commentaires:
Ouin, j'ai entendu une des porte-paroles de Stella l'autre jour, et je sais pas pourquoi, mais ça m'a mis mal à l'aise.
J'ai décidé de m'informer sur le sujet global en lisant un ou deux livres, mais sérieusement, jusqu'à maintenant j'ai entendu une vaste majorité de propos d'un certain point de vue et je trouve ça troublant.
Le concept de tribunal populaire me rend aussi vachement mal à l'aise.
J'imagine que le choix de cette expression avait quelque chose de plus théâtral qu'officiel.
Le "tribunal populaire" est une notion aussi immatérielle que le "contrat social", tant qu'à moi.
Chais pas. Il y a un quelque chose de maoïste dans l'expression qui me dérange. Identifier des coupables et les juger me semble une activité pleine de ressentiment qui à terme ne peut mener qu'à des choses assez laides, voire dangereuses. Qu'est-ce qu'on fait avec les phallocrates, une fois jugés? On leur coupe l'engin pour couper court à l'oppression? Parce que qui dit tribunal dit condamnation et peine. Beurk.
Quoi qu'il en soit, je remarque que les discussions sur la prostitution finissent toujours par des appels soit à davantage de police, soit à une police "meilleure et améliorée". Surtout, les militantes pro-légalisation comme les prohibitionnistes ne sont presque jamais des prostituées. Elles ressemblent en cela aux militants animalistes de PETA, qui volent aux secours de petits êtres sans défense et exploités pour des raisons éthiques.
C'est comme si l'AIT avait eu comme devise, au lieu de «L'émancipation des travailleurs doit être l'œuvre des travailleurs eux-mêmes », quelque chose comme «L'émancipation des travailleurs doit être l'œuvre de bienfaiteurs bien informés, portés par les plus hautes exigences morales et qui savent ce qui est bon pour eux».
Je pensais que le rassemblement en question était justement l'occasion pour les travailleurs/euses du sexe de poser une action. En ce sens, ce sont ces mêmes personnes du milieu qui se défendent elles-mêmes, et bien qu'elles aient appelé au soutien du public, l'apparence est qu'elles ont participé à ça.
Sans pour autant me prononcer sur le texte, j'imagine que plusieurs assument ce qui est écrit ici.
En revanche, je serais d'accord pour dire que la majorité des gens qui se prononcent sur la question n'ont aucune idée de quoi illes parlent.
J'ai eu un malaise en lisant "Tribunal populaire". Surtout sachant que c'était la CLÉ qui organisait l'évènement, je trouvait que ledit tribunal penchait clairement d'un côté.
J'ai aussi eu un malaise avec "survivantes", qui selon moi faisait penser a des tites affaires fragiles qu'il faut protèger.
Bref je me méfiait des mots parce que je me méfie des signifiants vides. Dans la même veine, je préfère abolitionniste que prohibitif, parce que la prohibition est une interdiction déresponsabilisée, on veut se cacher les yeux, quand je vois plutôt l'abolitionnisme comme un processus fait pour changer les mentalités et les rapports humains.
Plus la fin de semaine avancait et plus il était évident que "tribunal populaire" se réfèrait non seulement à une mise en scène, à une pièce de théâtre, mais aussi à cette idée que le jugement n'est pas commandé par le haut, mais par le bas. La base, celles qui avaient fait et/ou faisaient encore partie de l'industrie témoignaient et condamnaient, oui avec beaucoup de ressentiment, mais l'activité n'ayant pas d'effectivité juridique, je trouvais une grande utilité et un grand dynamisme à l'exercice.
Personnellement, je ne vois absolument rien de mal à faire une mise en scène d'un tribunal contre des systèmes ou des industries qui exploitent et oppressent dans le but de débattre et proposer des cadres d'analyses et présenter des faits vécus. Si à chaque fin de semaine il pouvait y avoir un tribunal populaire contre une industrie capitaliste x ou un système oppressif et exploiteur y, je crois qu'on y gagnerait beaucoup.
Mais au delà de tout ça, c'est les voix qui m'ont frappées. Le terme de "survivante" me chicote encore, je ne sais pas pourquoi, peut être parce que ça manque d'action. Mais en écoutant et en discutant avec des femmes qui témoignaient, j'ai pu constater que ces femmes là n'ont rien de passif, elles sont des agentes, des sujets. Ce n'est pas parce qu'elles avaient constaté empiriquement que la prostitution est une oppression commandée par plusieurs systèmes qu'elles ne comprenaient pas le rôle de leur individualité et de leurs choix (aussi ténus pouvaient ils l'être).
Et de toute façon, c'est à ce mot qu'elles même se réfèraient, elles se nomment elles-même survivantes.
J'ai aussi constaté beaucoup de colère chez elles. De la colère de ne jamais avoir été écoutées. En tant que filles de l'industrie elles n'étaient pas crédibles et maintenant en tant que filles de l'industrie mais qui ne l'ont pas vécu comme de l'"empowerman", elle ne sont encore pas crédibles, et ce, même si elles sont la grosse majorité.
Toute leur expérience de vie, ce qu'elle ont ressenti et vécu dans la matérialité n'est pas valide.
Donc oui, du ressentiment et de la colère. Mais non je n'ai pas trouvé ça déplacé.
Évidement que je me sens tiraillée par rapport à la policisation que cette position abolitionniste amène.L'État est oppressif oui, mais l'État ne disparaitra pas demain et il y a plus de moyens pour faire pencher l'État pour protéger des groupes plus vulnérables (on pense aux loi et aux interventions pour les femmes battues par exemple) qu'une industrie capitaliste et patriarcale. Je me sens en contradiction avec mes valeurs anti-étatistes, mais dans le moment présent, désengager l'État pour laisser ces gens dans les bras de cette industrie ne me semble pas très socialement responsable et solidaire.
J'étais aussi au "tribunal", et c'était la première fois que j'étais directement en contact avec les témoignages de femmes qui sont ou qui ont été prostituées. L'une d'entre elles racontait d'ailleurs comment, se sentant de plus en plus inconfortable avec son "travail" de danseuse, elle a contacté Stella pour du support. La seule réponse obtenue, c'était de "changer de bar de danseuses"...
Le problème n'est pas de savoir si ces femmes-là se prostituent par choix, ou si elles sont prostituées faute d'alternatives. Les recherches disent qu'autour de 95% des femmes préféreraient en sortir si elles le pouvaient, tandis que des groupes comme Stella parlent de consentement et prétendent représenter l'ensemble des femmes.
L'abolitionnisme, pour moi, c'est justement de tendre vers un monde sans prostitution, pour que les femmes aient le choix, justement, de ne pas être prostituées. Et que les hommes ne puissent plus prendre pour acquis que c'est leur droit, partout et à tout moment, d'échanger un peu d'argent contre l'accès au corps de femmes ou d'enfants.
À part l'argent, qui rassure le client-prostitueur dans sa conviction de ne rien faire de mal, qu'est-ce qui ferait en sorte que d'imposer ses désirs, ses volontés et ses pratiques sexuelles à une femme est soudainement si différent d'un viol?
Je comprends que l'idéal serait d'abolir l'argent, ce qui limiterait très majoritairement l'exploitation sexuelle (et toute forme d'exploitation d'ailleurs), mais il me semble que l'adoption d'un revenu unique pour tous irait dans le même sens. Est-ce moi qui es trop naïf ou est-ce d'avantage les abolitionnistes de l'argent qui le sont?
A. Franc-Shi : abolir l'argent et la prostitution sont deux choses distinctes, même si d'après moi on ne pourra pas se débarrasser de l'une tout en gardant l'autre.
Et sans ouvrir tout un autre débat, pour ta réflexion, ne penses-tu pas que dès qu'il existe une valeur d'échange "argent", même distribuée de façon plus juste, son accumulation mènerait invariablement au retour d'inégalités?
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