mercredi 6 juin 2012

Le propriétaire de l'Absynthe nous parle...

Je m’appelle Mark Blanchard et suis propriétaire du bar l’Absynthe (St-Denis, coin Ontario). J’ai décidé de rédiger cette présente suite aux événements qui ont eu lieu samedi, le 19 mai 2012.

Les événements
Pour ceux et celles d’entre vous qui ont suivit les actualités, vous vous souviendrez très certainement de l’opération policière particulièrement violente qui incommoda (pour ne pas dire plus) les clients de la brasserie le St-Bock. Et bien sachez que, sur ma propre terrasse (l’Absynthe est située juste en face du St-Bock, du côté est de St-Denis), mes clients, mes employés ainsi que moi-même, furent tous victimes de la même brutalité policière que celle dont furent victimes les habitués du St-Bock. En d’autres termes : l’escouade anti-émeute, qui bloquait littéralement l’accès à la rue ainsi qu’à ceux et celles qui auraient bien voulus se réfugier dans mon établissement, le temps de quelques minutes de répit, décida, sans aucun avertissement, de gazer une centaine de personnes qui ne faisait, au final, que scander leur mécontentement. Ah oui, j’oubliais, l’une d’entre elle à projetée un dangereux verre de plastique sur l’imposant bouclier d’un des policiers! Personnellement, je fus également victime d’un puissant coup de matraque (dans les côtes), triste conséquence de mon désir d’avoir voulu dialoguer avec l’un des gendarmes afin d’inviter deux jeunes femmes à venir à l’intérieur de mon bar (deux jeunes femmes apeurées qui étaient, fort probablement, à la mauvaise place, au mauvais moment). Bref, inutile de spécifier que les secondes qui ont suivit ne furent que chaos, peur et douleur. Ma terrasse, en l’espace d’un court instant, s’est radicalement transformée en un amas de verres cassés, de tables brisées, de chaises renversées. Quant aux clients, ils se sont précipités en catastrophe à l’intérieur du bar, où trois de mes employées tentèrent, au mieux de leur capacité, de les soulager en leur fournissant une quantité effarante de pichets d’eau (pour être plus précis : TOUS mes pichets furent utilisés et ce, à répétitions!).

Petite parenthèse : suite à ces fâcheux évènements, je tiens mordicus à remercier personnellement, ainsi qu’aux noms des employé(e)s de l’Absynthe, tous les clients et membres de l’organisation du Pouzzafest pour nous avoir aidés à faire en sorte que la terrasse ressemble à nouveau à une terrasse et que le bar, ressemble à nouveau à un bar! Du fond du cœur : merci.

Les médias
Ensuite, quelques journées après ces incidents, les médias (inutile de divulguer des noms) désirent me rencontrer et passent me voir au bar, afin de connaître ma version des faits. Plus l’entrevue évolue et plus j’ai la drôle d’impression que le reporter n’écoute pas les réponses que je lui donne, suite aux questions qu’il me pose. Plus l’entrevue évolue et plus j’ai l’impression que notre petite discussion ne tourne finalement que sur mon statut de propriétaire ainsi que sur mes pertes économiques. Finalement, l’entrevue s’achève et je tiens à mentionner mon incompréhension. Mon incompréhension face à ce cirque médiatique qui filtre l’information à sa guise pour ne présenter que l’histoire désolante d’un propriétaire et de ses pertes économiques. Mais qu’en est-il de tous les autres, dis-je au reporter? Qu’en est-il de toutes ces victimes de manœuvres répressives, qui marchent dans la rue depuis maintenant plus de 100 jours, manifestant, pour la très grande majorité, d’une manière pacifique, et aspirant à une société plus juste, plus égalitaire, mais qui n’ont pas la « chance » d’être propriétaire, victime de pertes économiques? Qu’en est-il de ces jeunes vingtenaires qui se font poivrer, gazer, bousculer, matraquer, stigmatiser et qui, au final, n’ont pas la « chance » d’avoir une vitrine médiatique pareille à celle d’un propriétaire, victime de pertes économiques? Le reporter m’écoute, prend des notes et quitte mon établissement. Le lendemain… surprise! : cette partie de l’entrevue ne fut aucunement mentionnée dans l’article qui ne traita, finalement, que de mon statut de propriétaire ainsi que de mes pertes économiques. Aujourd’hui je suis triste de constater que dans la transmission de l’information, il y a malheureusement deux poids, deux mesures, dépendamment d’un statut social X. Aujourd’hui je suis triste de constater que, malgré mes 5 années à titre de propriétaire d’un bar spectacle (5 années passées sans l’apport de portiers ni même d’hommes de bras… je tiens à le mentionner!), l’épisode le plus violent de mon parcours fut celui causé par la police. Quelques jours passèrent, l’article fut diffusé et deux gendarmes sont venus à mon établissement pour s’excuser. Que m’ont-ils dit exactement? Que j’aurais dû m’identifier comme étant le propriétaire de l’établissement. Encore une fois, l’argument du statut social qui refait surface, systématiquement. Mais en quoi la déclaration de mon statut aurait-elle pue changer le cours des choses? En quoi le fait d’être propriétaire de l’Absynthe me place dans une situation différente de celles des autres? Ma réponse fut la suivante : « Les policiers auraient fait quoi alors? Ils auraient tapés sur un de mes clients à la place? Où sur un de mes employés? ». La discussion s’étira encore quelques minutes sans que nos divergences d’opinions ne finissent pas s’accorder et les deux gendarmes quittèrent les lieux, ne semblant aucunement impressionnés par mes arguments.

Deuxième parenthèse : à noter que cette présente n’est absolument pas un pamphlet virulent à l’égard des forces policières qui, dans les circonstances, font leur travail (du moins, pour certains). Il s’agit plutôt d’un constat. D’un constat tiré de mon expérience personnelle, soit celle décrite dans les paragraphes ci-hauts. La réflexion Après deux semaines de longue réflexion, j’ai décidé, non sans avoir eu plusieurs discussions avec mon entoure proche (personnel et professionnel), de rédiger cette présente. Plusieurs m’ont fortement déconseillés de le faire, craignant que je ne m’attire le mauvais œil du milieu policier. Il est vrai que je possède une salle de spectacle dans un quartier commercial, mais également résidentiel, où plusieurs groupes rocks viennent y jouer et ce, même dans les journées de semaines. Il est donc vrai que je pourrais avoir plusieurs plaintes pour cause de bruit dérangeant… et par la même occasion, recevoir plusieurs contraventions, suite à une relation houleuse avec la police. Nous sommes bien entendu dans l’hypothétique, mais il est aussi vrai que ces nombreuses inquiétudes qui m’ont étés transmises reflètent avant toute chose un sentiment de peur exacerbé, étroitement lié à la divulgation de la vérité. Donc… après deux semaines de longue réflexion, j’ai décidé de rédiger cette présente, non pas pour m’attirer les foudres des médias ou des forces de l’ordre, mais bien pour contester le modèle sociopolitique dans lequel nous vivons présentement, à savoir un modèle pyramidal, où l’individualisme à outrance ombrage depuis déjà beaucoup trop longtemps les valeurs d’égalité, de justice et d’empathie (celle-là même que nous devrions tous avoir à l’égard des plus démunis mais également à celle de nos policiers et surtout à celle de nos étudiants). Cette présente est donc une critique dirigée à l’endroit du gouvernement Charest qui, non seulement s’avère être le grand responsable de cette crise sociale, mais qui semble ne faire aucun effort pour tenter de la régler.

Pour terminer, je suis peut-être propriétaire d’un commerce et donc, le « boss » de plusieurs employés, mais sans ces employés, je ne suis le « boss » de personne. Je suis, avant toute chose, un citoyen qui se veut averti et responsable, au même titre que l’étudiante de 20 ans qui entame son baccalauréat en anthropologie et qui manifeste dans les rues de la métropole pour contester la marchandisation du savoir et pour tenter (ne serais-ce que pour rêver) d’améliorer notre modèle social actuel, ce « nous » qui se fragilise un peu plus à tous les jours qui passent, matraqué sans relâche à grands coups de « je ». Je tenais ainsi à faire ma « juste part », en témoignant de la manière la plus honnête qui soit, des incidents qui ont eu lieu dans mon établissement, samedi le 19 mai, 2012; un témoignage qui se voudra, je l’espère, empli de nuance, de modestie et de sincérité.

Mon humble objectif serait de voir circuler cette lettre, via tous les lieux de liberté d’expression (médias sociaux, presses écrites, blogues, etc.).

Merci de m’avoir lu et merci de faire suivre.

2 commentaires:

Mouton Marron a dit…

Fascinant comment certain-e-s journalistes peuvent détourner le sujets et écrire leurs articles sur des trucs pas importants. En admettant qu'on accepte, contre toute intuition contraire, de passer en entrevue, il faut être rusé-e et répondre seulement aux questions qui nous intéressent.

Anonyme a dit…

En plus, je ne comprends pas les "propriétaires" de commerce : les vrais petits commerçants sont écrasés par l'impôt, ne peuvent s'installer nulle part à cause du zonage et sont soumis à la concurrence des grosses chaînes qui raflent les meilleurs lieux commerciaux parce qu'ils ont les moyens de s'offrir des loyers exorbitants.

Sans parler des centaines de commerce qui s'effondrent en cinq ans toujours à cause de ces loyers dégoûtants (voir le nombre de commerces qui ont fermé au Plateau, à chaque poussée spéculative.

Pourquoi les petits commerçants sont-ils aussi souvent de droite alors qu'ils se font avoir par les multinationales et les chaînes, invitées par le Parti libéral à tout piquer et à ne pas payer d'impôt?