jeudi 24 mai 2012

Arrêtez-moi quelqu'un



Nous, étudiants et étudiantes, travailleurs et travailleuses, citoyens et citoyennes,

Avons pris connaissance de la loi 78, adoptée par l'Assemblée nationale du Québec le 18 mai 2012. Adoptée au 95e jour d'une lutte étudiante déjà historique, la loi spéciale a manifestement comme objectif d'étouffer cette mobilisation.

Depuis son adoption, le vocabulaire de l'indignation a été épuisé à son égard. Juristes, artistes, éditorialistes, intellectuel-e-s et personnalités de tous les milieux ont unanimement dénoncé cette attaque frontale aux droits fondamentaux et inaliénables que sont la liberté d'expression, d'association et de manifestation. Malgré l'unanimité et la force des condamnations, le gouvernement du Québec garde le cap et refuse d'abroger sa loi injuste. Devant cet entêtement à fouler au pied les principes fondamentaux de toute démocratie, il importe maintenant de passer à l'action: cette loi doit être bloquée. Dans une situation d'injustice, l'inaction est synonyme de complicité. Se soumettre à cette loi, c'est l'accepter. Accepter cette loi, c'est sanctionner son contenu. Nous assistons actuellement à un face à face historique entre le gouvernement et la jeunesse. Le pouvoir nous regarde, attentif. Cette loi est un test. Si nous nous y soumettons, nous reconnaissons l'efficacité de sa répression: le gouvernement gagne. S'il gagne une fois, il refera le coup. Nous ne pouvons pas ouvrir la porte à cette possibilité.

Ce bras de fer est la face visible d'un conflit plus profond. Si la jeunesse ne remplit pas son rôle historique de rempart contre l'autoritarisme, qui le fera? « Si la jeunesse se refroidit, le monde entier claquera des dents », écrivait Georges Bernanos.

Cette loi vient briser la confiance, déjà fortement ébranlée, entre le peuple et les institutions. La corruption et l'influence disproportionnée des lobbies et des intérêts économiques sur les gouvernements ont, depuis longtemps, érodé cette confiance et donné naissance à un cynisme politique sans précédent. Actuellement, ce que l'on appelle l'assemblée du peuple est déjà rongé par les intérêts partisans, l'appât du gain et la corruption. Cette loi enfonce encore un clou dans le cercueil de la démocratie québécoise.

Beaucoup de gens nous regardent. En tant qu'êtres humains, nous portons l'héritage des luttes passées. De Murdochville à Asbestos en passant par la grève étudiante de 2005, l'histoire du Québec est traversée de luttes difficiles, de grèves longues et, parfois, illégales. Ceux et celles qui ont mené ces luttes nous ont transmis un flambeau qu'il nous est interdit d'échapper à un moment aussi crucial. Les droits fondamentaux dont nous jouissons aujourd'hui ne sont pas des cadeaux, ce sont des legs. Il nous faut, ici, les défendre - par respect pour ceux et celles qui les ont obtenus pour nous. Si l'on veut nous les retirer par la loi, nous nous battrons. Au-delà de la loi, s'il le faut. Si celle-ci est injuste et que nous sommes sérieux et sérieuses dans notre prétention à défendre la justice, il nous faut y désobéir. Cela porte un nom: la désobéissance civile.

Avec cette loi, le gouvernement s'attaque à beaucoup plus qu'aux associations étudiantes: il s'attaque à la possibilité même que devrait avoir chaque femme et chaque homme de contester librement les décisions prises en son nom par le pouvoir politique. Le gouvernement utilise la peur pour réprimer la contestation: il s'agit de méthodes dignes d'un régime autoritaire. Cette loi liberticide veut nous faire renoncer à plus qu'à nos droits; elle veut nous faire renoncer à ce que nous sommes. Nous affirmons aujourd'hui que nous refusons de céder à la peur et à l'intimidation. Nous resterons fidèles à nos principes de liberté individuelle et collective.

Nous n'avons pas d'autre choix. Seul-e-s face à la loi, nous sommes faibles. Ensemble, nous avons le pouvoir de la bloquer. En signant cette déclaration, nous nous engageons à continuer à lutter; à rester mobilisé-e-s, en vertu des libertés fondamentales qui nous sont conférées par les différentes chartes et traités nationaux et internationaux. Si cela nous vaut des poursuites pénales en vertu de la loi 78, nous nous engageons à y faire face.


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